Ce matin, les bordelais doivent avoir un goût d'Italie dans la bouche. Un goût amer, celui que nos voisins transalpins adorent infliger à leurs adversaires. Cette sensation d'avoir fait ce qu'il fallait mais qu'au final, ce sont toujours les méchants qui finissent par avoir le dernier mot. Hier soir, les lyonnais étaient italiens, et ont certainement fâché une partie des puristes qui, la veille, s'ébahissaient des exploits techniques de Messi et de sa horde catalane. Mais ça ne changera rien. En usant d'un bloc glacial et d'une certaine âpreté dans les duels, l'OL s'est mis dans la peau du méchant, celle qui lui avait fait défaut contre Porto, le PSV et le Milan AC les années précédentes. C'est peut-être ça qu'on appelle "l'expérience".
Hier soir, Bordeaux, en dominant les débats, en gagnant, et en se faisant éliminer, a ranimé l'une des grandes questions philosophiques de l'Encyclopédie (bien après l'arbitrage vidéo, tout de même) : doit on se réjouir de la victoire d'une équipe qui refuse le jeu ? Cette simple question réveille le spectre de bien des victimes d'un tel casse-tête. En la matière, le Portugal aurait bien besoin d'un exorciste ; la Corée du sud en 2002, la Grèce en 2004, la France en 2006, la Selecção a souvent prouvé qu'il ne suffisait pas de développer le plus beau jeu pour avoir gain de cause. Arsenal ne dira pas le contraire. Helenio Herrera non plus.
Helenio Herrera, l'inventeur du Catenaccio, cette tactique exclusivement basée sur une défense en béton armé, tirée de l'italien "verrou" ou "chaîne bloquante". Ça glace le sang, n'est-ce pas ? A l'Inter Milan, on apprécie. C'est en effet la recette qui, jadis, offrit aux nerrazzuri leurs deux victoires en C1, leurs deux seules jusqu'à présent.
Ironie du sort, l'homme qui permet aujourd'hui à ce même club d'accéder aux demi-finales s'appelle José Mourinho, autre philosophe du genre. Spécialiste du 1-0, il avait gagné le championnat d'Angleterre avec 95 points (un record) et seulement 15 buts encaissés (autre record). C'était avec Chelsea, avant qu'il ne les achève 5 ans plus tard, en 2010, comme il les avait construit. Définitivement, cette tactique est effrayante.
Mais voilà, il y a le Barça, la lueur d'espoir, le sauveur, le messie (on évitera, pour une fois, le jeu de mot assez foireux). Les garants de l'esthétique, seuls et uniques à pouvoir redorer le blason du football. Voyez y là, un peu d'ironie. Car ce qui reste dans l'Histoire, ce sont les résultats, et même si bien-sûr, nous préférons qu'ils soient accompagnés de spectacle, il convient d'accepter cette part d'inesthétique qui fait aussi la beauté de ce sport. Lorsqu'il se mue en partie d'échec où le moindre détail fait basculer la rencontre. Lorsque les nerfs sont malmenés jusqu'au coup de sifflet final.
Finalement, tout ça ne fait qu'accentuer le drama du football. Ce que nous savons, c'est que Lyon aura cette année l'opportunité de se rendre au temple de l'esthétisme, à Santiago Bernabeu. Comme dans un film, nous ignorons comment cela va se terminer. Comme dans un film, il y aura le bien et il y aura le mal. Tous les ingrédients d'un classique. C'est maintenant, le moment ou jamais d'assumer son rôle de méchant, d'endosser avec plaisir le costume du boss de fin...